Droit social
La Lettre de MPS AVOCATS
11 avril 2017
DU CO-EMPLOI A LA RESPONSABILITE DELICTUELLE
En droit comme ailleurs, il existe des phénomènes de mode. Dans les groupes de sociétés, après un licenciement collectif pour motif économique, il n’était pas rare que la responsabilité de la société mère, éventuellement étrangère, soit recherchée afin de parer à l’impécuniosité de l’employeur à l’encontre duquel une procédure collective était ouverte.
Les tribunaux avaient largement accueilli les demandes de reconnaissance de co-emploi et condamné les sociétés mères sur le fondement de leur ingérence dans la gestion de leurs filiales, les salariés revendiquant une confusion d’intérêts, d’activité et de direction, ce qui permettait de les considérer comme les co-employeurs des salariés licenciés et de faire condamner des sociétés in bonis.
Las, cette vague qui connut un assez large succès, a reflué et la jurisprudence n’admet que bien plus difficilement le co-emploi. Les juges considèrent dorénavant, comme la doctrine, que « le recours à la notion de co-emploi doit demeurer exceptionnel en ce que le co-emploi n’est que la sanction d’une anormalité et n’a donc pas pour objet de remettre en cause, de façon générale, le fonctionnement des groupes de sociétés, dont l’existence est fondée sur une logique de domination ou de contrôle » (Gilles AUZERO « Co-emploi : le rappel à l’ordre de la Cour de cassation » ; Semaine Sociale Lamy N° 1645 du 29 septembre 2014).
La Cour de cassation limite ainsi le co-emploi aux situations « pathologiques » où, finalement, une société dominante agit dans son seul intérêt et vide de sa substance sa filiale, sous couvert de domination économique et financière et admet l’étendue du pouvoir des sociétés mères de prendre des décisions de groupe (par exemple : fermeture d’un site, d’une filiale, changement de marque), le droit de placer des dirigeants communs et de financer (ou pas) des mesures sociales sans qu’une situation de co-emploi ne soit caractérisée.
C’est dans ce contexte que les avocats des salariés se placent désormais sur le terrain de la responsabilité délictuelle de la société mère au visa de l’article 1240 du code civil (ancien article 1382), selon lequel « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
La Cour de cassation admet en effet que la légèreté blâmable de la société mère dans ses relations avec une filiale contrôlée à 100 %, qui engendre des licenciements, permet aux salariés qui en sont victimes d'agir en justice contre le responsable véritable de leur préjudice.
La Haute Cour a ainsi décidé, dans un arrêt du 8 juillet 2014 (n°13-15.573), qu'un actionnaire doit indemniser d'anciens salariés de sa filiale pour le préjudice né de ses décisions dommageables pour celle-ci qui ont aggravé sa situation économique difficile ne répondant à aucune utilité pour elle et n'étant profitables qu'à l'actionnaire unique.
La Cour de cassation retient que les salariés sont en droit d'agir en responsabilité contre la société mère sur le terrain délictuel, même si elle n'était pas leur employeur. En statuant ainsi, elle reconnaît un droit légitime aux salariés d'agir en responsabilité devant la juridiction sociale et donc le Conseil de Prud'hommes, à l'encontre d'une société qui n'est pas son employeur, même dans le cadre d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire qui relève en principe de la compétence du tribunal de commerce.